Physical Address

304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124

Plumes, strass et collerettes : la fashion week de Paris en quête de légèreté

Qui va plier le match ? Les dernières vingt-quatre heures de la fashion week de Paris, qui s’est terminée mardi 1er octobre, sont l’occasion d’un déploiement exceptionnel de moyens pour marquer les esprits. Il faut dire que ceux-ci sont un peu embrouillés par l’avalanche de défilés (soixante-six en tout) de cette saison printemps-été 2025, mais aussi par le jeu de chaises musicales entre les designers des différentes maisons.
L’avenir de Demna chez Balenciaga paraissait incertain : il avait suscité l’opprobre général avec deux campagnes publicitaires maladroites, en 2022, qui avaient durablement entaché l’image de la marque ; par ailleurs, après avoir influencé la mode de la fin des années 2010, son esthétique a fini par perdre de son pouvoir de séduction. Finalement, sans doute parce que le Géorgien reste l’un des designers les plus talentueux de sa génération, et qu’il ne serait pas facile de trouver un successeur à la hauteur, son contrat, qui a débuté en 2015 chez Balenciaga, a été prolongé (la marque ne précise pas la durée).
Au défilé installé dans une grande tente dressée face au dôme des Invalides, Demna semble se sentir comme à la maison. Le décor consiste en une table en bois de 47 mètres de longueur servant de podium. « Elle représente la table de la cuisine de ma grand-mère, où je dessinais des looks sur des cartons. J’avais envie de revenir au début de mon obsession pour la mode, à laquelle je suis marié depuis trente-cinq ans », explique le designer, qui a envoyé une alliance dorée en guise d’invitation. Les premières mannequins en lingerie sexy à la Dolce & Gabbana laissent penser que Demna a choisi de défricher d’autres territoires stylistiques.
Mais, bien vite, les silhouettes reviennent à la normale : les jeans baggy délavés et déchirés sont associés à des vestes cocons qu’on dirait gonflées d’air, les silhouettes accumulent les couches (robes agglomérant chemises et manteaux), les vêtements sont détournés de leur fonction (un jean porté comme une collerette autour de la tête), les robes du soir figées comme des statues… « La mode essaie toujours d’être impeccable, dans ses vêtements, sa communication, sa manière de vendre. De mon point de vue, il ne faut pas avoir peur de la bousculer, la salir », dit Demna. Qui ne devrait pas craindre de mettre son intelligence au service de nouvelles idées, surtout s’il a resigné pour plusieurs années.
Quand la cote de Balenciaga est retombée, fin 2022, c’est Miu Miu qui a pris sa place de marque la plus influente de la fashion week. La griffe de Miuccia Prada touche un public plus large depuis qu’elle fait appel à la conseillère et styliste Lotta Volkova, qui avait d’ailleurs longtemps collaboré avec Demna. Les jupes très courtes à grosse ceinture, les pulls coupés sous la poitrine, la lingerie apparente, la panoplie de l’écolière… autant d’idées qui se sont frayé un chemin jusqu’à la rue ces dernières années.
Le succès de Miu Miu, qui fait partie des rares marques à bien résister à la crise, est tangible, lors de ce défilé au décor soigné : l’artiste Goshka Macuga a conçu l’installation au Palais d’Iéna, où des écrans géants diffusent un film (assez abscons) et où des centaines de journaux circulent dans les airs, baladés par une tringle métallique circulaire accrochée au plafond.
La cabine est comme toujours bien choisie, avec quelques mannequins stars, des acteurs inattendus (Willem Dafoe, Hilary Swank…) et des jeunes hommes dans des tenues de jeunes filles gentiment débraillées. Même s’il n’est pas exempt de bonnes idées, le vestiaire donne tout de même l’impression d’une fin de cycle, avec ces culottes un peu gimmick, les petits pulls marine très sages, les pièces sportswear à peine retravaillées, les jupes taille basse et vernies, les ceintures empilées… Les pièces au parfum seventies sont les plus intéressantes, comme ce manteau aux imprimés hypnotisants ou ces robes légères brodées de sequins de tailles différentes. Mais cela sera-t-il suffisant pour soutenir la croissance ?
Chez Chanel, l’heure est au changement. La maison de la rue Cambon a présenté sa première collection de prêt-à-porter depuis le départ de sa directrice artistique, Virginie Viard, en juin. Si les raisons de cette séparation n’ont jamais été explicitées, il ne fait pas de doute qu’elle a été houleuse : Virginie Viard, qui officiait depuis plus de trente ans chez Chanel, était partie deux semaines avant un défilé de haute couture sur lequel elle était en train de travailler.
Le studio, qui a réalisé seul cette collection, a choisi une thématique assez symbolique : l’envol. La griffe renoue aussi avec le gigantisme du Grand Palais, qui était fermé pour travaux depuis 2021, et où Karl Lagerfeld avait l’habitude d’organiser des défilés spectaculaires. Une cage à oiseaux de 20 mètres de hauteur, installée au centre de la nef, est un clin d’œil à la publicité pour le parfum Coco de 1991, dans laquelle Jean-Paul Goude avait transformé Vanessa Paradis en canari.
Le vestiaire est assez littéral, mais non dénué de charme : tailleurs en tweed noir et blanc brodés de petites plumes au col ou sur les manches, vestes d’aviateur duveteuses, simples combinaisons de pilote ceinturées d’une plume argentée, capes en mousseline retenues par des nœuds en soie à longs bandeaux qui flottent au rythme des pas, chemises à volants imprimées de plumes multicolores… les codes de Chanel sont respectés, sans en faire trop. Le choix des mannequins fait preuve d’un peu de diversité, avec une dizaine de femmes plus rondes ou plus âgées que la moyenne.
Ce défilé prouve que Chanel pourrait continuer d’avancer sans direction artistique. Bruno Pavlovsky, le président des activités mode, dit ne pas vouloir hâter le recrutement, car « il faut faire le choix de la bonne personne pour les quinze années à venir », tout en espérant la trouver avant la fin de l’année. Du côté des pronostics, deux noms reviennent sans cesse : Simon Porte Jacquemus et Hedi Slimane.
Le départ de ce dernier de chez Celine est un feuilleton qui a alimenté toutes les spéculations. Mercredi, la marque a finalement annoncé que le directeur artistique était remplacé par Michael Rider. Trois jours auparavant, elle avait diffusé une vidéo de la collection printemps-été 2025 d’Hedi Slimane qui avait surpris tout le monde. Comme il est courant dans ces situations d’adieu, ce vestiaire est l’un des meilleurs imaginés pour la griffe : classique mais subtil, aux broderies légères, aux formes épurées, sans logo ou presque. La dernière image de ce clip, qui montre d’imposants lustres se décrochant du plafond et chutant vers le sol, donne matière à réflexion : après Hedi Slimane, le déluge ?
Louis Vuitton fait partie des rares maisons où semble régner une forme de stabilité. Le directeur artistique des collections féminines, Nicolas Ghesquière, arrivé en 2014, a été reconduit en mars pour cinq nouvelles années, et bénéficie de l’appui de Bernard Arnault, le PDG de LVMH. Celui-ci semble le laisser libre d’expérimenter à sa guise : chaque saison, Nicolas Ghesquière innove dans les formes ou les matières, au risque de transformer Louis Vuitton en laboratoire de recherche fondamentale déconnecté du désir des clientes.
Cette saison ne fait pas exception. Dans la cour Carrée du Louvre, une grande boîte, tapissée de miroirs à l’extérieur et noire à l’intérieur, héberge le défilé. Au centre, 1 250 malles collées les unes aux autres délimitent le podium. « Je me suis concentré sur la notion de soft power. Et cette réflexion m’a donné envie de créer une légèreté puissante, des vêtements à l’architecture mobile », explique le designer.
La garde-robe est composée de tissus très souples, structurés à quelques endroits stratégiques (aux épaules, aux manches…) pour qu’ils gardent de la tenue. Les superpositions d’imprimés et de matières créent des silhouettes complexes, où les pantalons bouffants ou asymétriques se marient avec des tuniques amples, des vestes à épaulettes, des sautoirs accumulés et même des collerettes – car la Renaissance est aussi une source d’inspiration.
Les belles chemises reproduisant des paysages surnaturels du peintre Laurent Grasso sur une soie texturée et chatoyante, qui pourraient se suffire à elles-mêmes, sont assorties de longues jupes en bandelettes de strass. Certes, les silhouettes sont alambiquées, mais pas dénuées de rationalité : chacune porte un sac bien troussé, petite malle ou grand cabas, en alligator orange ou cuir noir grainé, il y en a pour tous les goûts. Et puis, s’il y a bien une chose qu’on ne peut pas enlever à ce prêt-à-porter, c’est qu’il est tellement singulier qu’on ne risque pas de l’oublier.
Elvire von Bardeleben
Contribuer

en_USEnglish